4h30 Vendredi matin, nous sommes réveillés Isa et moi par un signal d'alerte ondulatoire. La surprise passée, nous réalisons qu'il s'agit d'une alerte tsunami, la première réaction est d'allumer la télévision et là, des images effrayantes s'offrent à nos yeux, c'est un spectacle de désolation, une tragédie se joue sous nos yeux à peine ouverts.
L'alerte a été donnée suite au tremblement de terre au Japon la veille, nous suivrons le déroulement de l'alerte à la radio et à la télévision, en souhaitant évidement que rien n'arrive ici. Après quelques heures, l'alerte est partiellement levée ce qui me permet de regagner la Flottille et prendre les informations sur le début de matinée. Au final, il ne se sera quasi rien passé, enfin rien de spectaculaire. Comme les choses ne sont pas trop mal faites, il y a quelques semaines il a été fourni aux habitants un dépliant sur l'alerte tsunami ainsi que sur l'alerte cyclonique. Voici celui sur les tsunamis.
Je vous mets également un article paru sur le journal "Les nouvelles" avec un géophysicien en interview pour nous expliquer le phénomène et ses conséquences sur la Polynésie:
"Alerte rouge, puis levée, puis remise, puis levée… Soumis aux aléas de la nature au beau milieu d’une opération d’évacuation, difficile de comprendre les décisions des autorités, et surtout à partir de quoi elles sont prises. Le réseau est saturé, les informations fourmillent et se contredisent dans la cohue. Éléments d’explication avec Olivier Hyvernaud, géophysicien au laboratoire de géophysique, au cœur de la cellule de crise hier.
Toute la problématique du géophysicien, “c’est de calculer l’énergie du tremblement de terre, puis de calculer l’énergie des ondulations de la surface de l’océan”
Par un système de simulation il “re-propage l’ondulation du point où elle s’est formée jusqu’au point où elle va arriver”
Différentes séries de vagues d’amplitude ont trompé les géophysiciens qui ont dû interrompre brusquement la première levée de l’alerte
Quelle était la hauteur de plus grosse vague à Tahiti et en Polynésie?
Olivier Hyvernaud : “45 cm de baisse et 40 cm de montée pour Tahiti, avec un niveau de changement de la mer de 85 cm. Et un mètre cinquante de montée de la mer pour Nuku Hiva, à Taitipi, pour une moyenne de trois mètres de changement du niveau de la mer.”
Expliquez-nous la formation d’un tsunami.
“Quand vous jetez un gros pavé dans une mare d’eau, là où le pavé plonge dans l’eau vous avez une grosse gerbe. Et un peu plus loin, vous avez des ondulations de la surface de l’eau, qui se propagent en s’éloignant. Là c’est pareil, en s’éloignant du point de rupture du tremblement de terre, vous avez des ondulations de la surface de l’océan, qui se propagent très bien.”
Mais ces ondulations, elles grossissent, prennent de la vitesse ou, au contraire, s’estompent ?
“Non, l’eau ne se déforme pas, ne se comprime pas et donc restitue très bien le mouvement qu’on lui donne au départ. Ces ondulations se propagent sur des milliers de kilomètres sans s’atténuer. Elles finissent par s’atténuer seulement quand elles arrivent sur une côte, sur une plage.”
Et si elles ne rencontrent pas de côte ?
“Au bout de quelques centaines ou quelques milliers de kilomètres, l’océan finit bien par s’arrêter. La terre n’est pas faite que d’océan, il y a des continents, des îles qui finissent toujours par émerger et l’ondulation de la surface de l’océan finit par s’arrêter.”
Comment expliquez-vous les nombreux retraits de l’océan ?
“Reprenons l’analogie du pavé. Quand vous jetez le pavé dans une mare, vous avez plusieurs ondulations à la suite. La première ondulation est forte, et puis celles qui suivent derrière sont de moins en moins fortes, puis l’eau finit par s’arrêter et se lisser.”
Alors est-ce que le retrait de l’océan en termes de mètres annonce l’importance d’une vague ?
“Si vous avez un retrait de 30 mètres de l’eau, ce n’est que la première ondulation de la surface de l’océan. Il y en a d’autres derrière, qui peuvent être un peu plus fortes ou un peu plus faibles et qui finissent par s’atténuer. Alors tout le problème du géophysicien, quand il y a un tremblement de terre dans une zone de subduction lorsqu’une plaque océanique s’enfonce sous un continent, c’est de calculer l’énergie du tremblement de terre, puis de calculer l’énergie des ondulations de la surface de l’océan. Il n’y a pas de relations simples, il faut le faire avec des moyens de calculs assez compliqués, et c’est ce qu’on appelle faire des simulations. Au lieu d’avoir une formule toute faite, on fait des simulations sur des ordinateurs, ou on re-propage pas à pas, étape par étape, l’ondulation à la surface, du point où elle s’est formée jusqu’au point où elle va arriver. Ces simulations demandent de très gros moyens de calculs, possibles depuis seulement quelques années.”
Les simulations annonçaient deux mètres…
“Les hauteurs données par les simulations dépendent de la source, mais à l’entrée du programme. Et cette source, on la définit par la géométrie de la faille : sa longueur, sa hauteur, son inclinaison, etc.”
À partir de quelle hauteur faut-il déclencher l’alerte ?
“Tout dépend de la géographie, de l’implantation de l’homme. En Polynésie le seuil qu’on s’est fixé est de l’ordre de 50 cm. Au-delà, les habitants sont en danger. Pourquoi ? Parce que les îles sont au raz de l’eau, comme les atolls des Tuamotu. Parce qu’ici les gens habitent bien souvent en bord de mer, parce que l’homme en Polynésie a construit beaucoup de choses au bord de l’eau. Et tout ce qui se trouve en bord de mer est très vulnérable. Comme une piste d’aérodrome : inondée, elle n’est plus praticable.”
Certaines personnes n’ont pas bougé et pour d’autres, deux mètres, ce n’est pas beaucoup.
“On ne peut pas forcer les gens à évacuer sous la contrainte. Les services de secours devront intervenir et mettre leur vie en danger pour secourir les imprudents. Mais c’est la société qui devra payer pour les prendre en charge. Ces gens-là ont des droits mais aussi le devoir de se protéger pour éviter d’être une charge.”
Que s’est-il passé pour que le haut-commissariat lève puis remette l’alerte ?
“Quand vous avez un raz-de-marée, il faut prendre en charge la sécurité des gens, mais vous devez aussi perturber leur vie le moins longtemps possible. À quatre heures du matin avec femmes et enfants dans la montagne, ça peut être traumatisant. Ce qui s’est passé ce matin, c’est qu’on a eu une première montée du niveau de la mer de 20 cm à Papeete puis une baisse d’environ 15 cm en 20 minutes. Puis une seconde moins importante, dans les 10 cm, puis 10 cm de descente de 10 minutes. Puis une troisième moins forte. Ça faisait à peu près une heure que le tsunami avait débuté. On avait donc l’impression que le tsunami s’affaiblissait. Avec mon collègue et la protection civile on s’est concerté pour voir si on pouvait lever l’alerte. On savait qu’il devait y avoir d’autres ondulations, mais que comme les trois premières étaient en décroissance d’amplitude, on pensait que la 4e et la 5e allaient être encore moins fortes. D’où le feu vert pour la levée de l’alerte, que la protection civile a mis en application dans les minutes qui ont suivi. Dans le même temps on continuait à surveiller la montée du niveau de la mer, et la 4e vague s’est avérée être beaucoup plus forte que ce qu’on pensait. On a donc rappelé la protection civile pour stopper la levée d’alerte, malheureusement l’information était déjà partie. Donc on a demandé à la protection civile de faire machine arrière et de repasser en alerte rouge.”
Ensuite ?
“On a eu à nouveau une série de trois vagues qui n’étaient pas très fortes, comme on avait l’expérience de la première fois, on a prolongé l’alerte rouge. Pour la côte est on a maintenu plus longtemps, parce qu’il n’y a pas de barrière, rien pour freiner. La côte ouest, elle, est protégée par un récif, le lagon et la barrière récifale amortissent le niveau de la mer. On a attendu pour être certains que les vagues étaient bien en décroissance et là, on a levé l’alerte d’abord sur la côte ouest, puis sur la côte est. Et ça s’est passé entre 9 h 30 et 10 h 45 je crois.”
Propos recueillis par Esther Cuneo